
La promotion pour « A Star Is Born » continue de plus belle ! Lady Gaga est ce mois ci en couverture de VOGUE, qui titre pour l'occasion « A Star Reborn » (Une Star qui Renaît). Au programme : un tout nouveau photoshoot signé Inez & Vinoodh, et une interview de notre actrice en herbe.

La maison de Lady Gaga à Malibu est sur une route relativement quelconque à côté de la Pacific Coast Highway, située dans ce qui ressemble (pour Malibu) à un quartier de banlieue normal. Lorsque le portail de l'enceinte s'ouvre, vous avancez sur une longue allée en graviers qui vous conduit à travers une propriété de plusieurs hectares, vous passez devant la carrière clôturée où elle monte son cheval, Arabella, devant les granges, les étables et ses gigantesques chiens qui aboient, Grandpa et Ronnie – et vous vous arrêtez devant une maison en pierres qui ressemble, au premier regard, à une maison du Sud de la France. Un jeune homme souriant vous accueille à votre voiture, explique qu'il est le chef de la sécurité, et vous demande de signer un accord de confidentialité. Il y a au moins une douzaine de voitures garées autour, la plupart appartenant aux personnes qui travaillent ici – s'occupant d'une manière ou d'une autre de la propriété ou de la dame en résidence. Le tout est à la fois grandiose mais aussi, d'une certaine manière, modeste (pour la maison d'une rock star à Malibu).
Lorsque Gaga descend les escaliers et fait son entrée par une chaude après-midi à ne rien faire en août, elle porte un déshabillé pervenche diaphane avec des bords froissés qui balaient le sol, et rien en-dessous à part un soutien-gorge assorti et un string – ainsi que des talons bobines couleur chair et des bijoux en diamants à la Liz Taylor. Revenue la veille de longues vacances reposantes sur une ile tropicale éloignée avec son petit-ami, elle est anormalement bronzée et, alors qu'elle me mène vers le jardin en passant par les portes-fenêtres, je peux voir presque tous ses tatouages – et son derrière harmonieux – à travers sa tenue. Des roses tremblent dans la brise, et une longue pelouse inclinée et herbeuse mène à une piscine et à l'Océan Pacifique, scintillant sous le haut soleil de l'après-midi. « C'est mon sanctuaire, » dit-elle. « Mon oasis de paix. Je l'appelle mon 'palais de bohémienne'.”
Elle a acheté ce palais il y a environ quatre ans, alors qu'elle traversait une période difficile – à la fois physiquement et moralement – et elle y a passé de plus en plus de temps récemment. « Je viens de me débarrasser de mon appartement à New York – c'était trop frénétique chaque jour dans la rue, » dit-elle. Alors que nous regardons l'océan, je demande si elle est heureuse. « Oui – Je me concentre sur les choses auxquelles je crois. Je me défie moi-même. J'embarque vers un nouveau territoire – avec du cran et une surjoie. » (Gaga a l'habitude rigolote d'inventer des mots qui font toujours parfaitement sens.) « C'est une période intéressante dans ma vie. C'est une transition, c'est sûr. Cela fait une décennie. »
En avril, Gaga a noté sur son Instagram que c'était le dixième anniversaire de son premier single, « Just Dance ». Elle a été la chanson de l'été 2008 – les heures finales des années dorées, juste avant que l'économie n'implose et que la Grande Récession ne s'implante – et presque immédiatement, elle est devenue la plus grande pop star au monde, hantant nos rêves – et nos cauchemars – avec des monstres, des robes en viande, et les mélodies les plus entêtantes jamais écrites (GAAAA-GA OOOH-LA-LA !). Lorsque je lui demande ce qui a changé ces dix dernières années, Gaga, qui a 32 ans, répond « Une galaxie, » et rit. « Il y a eu une galaxie de changement. » Elle fait une pause. « Je dirais juste que cela a été un tourbillon inarrêtable. Et lorsque je suis dans une phase imaginative ou créative, cela m'emmène comme un traineau tiré par mille chevaux et je n'arrête pas de travailler. » Une autre pause. « Vous... vous faites des amis, vos perdez des amis, vous construisez des liens plus forts avec des gens que vous connaissez depuis des années. Mais il y a beaucoup de souffrance émotionnelle, et vous ne pouvez pas vraiment comprendre ce que cela signifie avant que dix années soient passées. »
Le 5 octobre, Warner Bros Pictures sortira la quatrième itération de l'histoire d'amour musicale et tragique A Star Is Born, avec Bradley Cooper et Lady Gaga. La première version est sortie en 1937, avec Janet Gaynor et Frederic March, suivis par Judy Garland et James Mason en 1954, puis Barbra Streisand et Kris Kristofferson en 1976. Gaga pense plus à un « héritage qui voyage » plutôt qu'à un remake. Dirigé par Cooper, pour ses débuts de réalisateur, le film est remarquablement assuré, profondément engageant, et travaille sur plusieurs niveaux : comme une romance, un drame, une comédie musicale, et quelque chose de totalement différent, presque comme si on regardait un direct, ou les séquences documentaires d'un bon vieux film de rock'n'roll. « Je voulais raconter une histoire d'amour, » explique Cooper, « et pour moi le meilleur moyen, c'est à travers la musique. Avec la musique, il est impossible de se cacher. Chaque fibre de votre corps prend vie lorsque vous chantez. » Comme Sean Penn l'a dit, après avoir vu le film plus d'une fois, « C'est le meilleur film commercial que j'ai vu depuis des années, » et il a décrit les acteurs comme « des miracles. » Cooper et Gaga, et le film lui-même, ont de fortes chances d'être nommés pour toutes sortes de récompenses.
Cooper est une révélation, il s'est complétement transformé en une rock star accro à l'alcool et la drogue : il a appris à jouer de la guitare, travaillé avec un coach vocal et un professeur de piano durant un an et demi, et écrit trois chansons du film. « C'est grâce à Gaga, » dit-il. « Elle m'a vraiment donné la confiance. » Il chante incroyablement bien. Gaga – dont les seules expériences d'actrice viennent de ses premiers clips (allez voir sur Google les versions longues de « Telephone » et « Marry the Night » si vous voulez voir ses débuts prometteurs), divers épisodes de American Horror Story, et deux apparitions dans des films de Robert Rodriguez – se défend face à Cooper mais réussit à vous faire complétement oublier qu'elle est Lady Gaga, ce qui n'est pas une mince affaire. Mais ce qui fait vraiment chanter le film en tant que tel, c'est la parfaite alchimie entre les deux stars, particulièrement dans les premières scènes où ils se rencontrent et tombent amoureux ; ce sont véritablement les moments les plus touchants et tendres que j'ai vus entre deux acteurs.
Gaga et moi sommes rentrés à l'intérieur et avons pris place sur le sofa bohème chic du salon à côté de sa cuisine. Elle ouvre une bouteille de rosé. Il y a des bougies vacillantes et des fleurs coupées sur la table. Gaga a rencontré Cooper pour la première fois au Saturday Night Live il y a environ cinq ans, mais seulement brièvement, puis un jour en 2016 – après avoir signé pour A Star Is Born et alors qu'il se demandait qui pourrait jouer Ally – il est allé à un diner caritatif contre le cancer dans le jardin de Sean Parker à L.A. « Elle avait les cheveux lissés en arrière, » explique Cooper, « et elle chantait 'La Vie en Rose' et j'étais en... lévitation. Elle m'a tiré un diamant dans le c½ur. J'adorais la façon dont elle bougeait, le son de sa voix. » Il a appelé son agent et, le lendemain, il est allé à Malibu. « La seconde où je l'ai vu, » dit Gaga, « C'était comme si je le connaissais depuis toujours. Il y a eu une connexion instantanée, une compréhension mutuelle. » Cooper : « Elle a descendu les escaliers et nous sommes allés dans le patio et j'ai vu ses yeux et, honnêtement, ça a fait un tilt et je me suis dit Wow. » Il lui a pratiquement offert le rôle sur le champ. « Elle m'a demandé 'Tu as faim ?' J'ai répondu 'Je meurs de faim,' et nous sommes allés dans la cuisine manger des spaghetti et des boulettes de viande. »
Gaga : « Avant de m'en rendre compte, je lui faisais à manger et nous discutions. Puis il a dit : 'Je veux voir si nous pouvons chanter cette chanson ensemble.' »
Cooper : « Elle se moquait un peu de ma proposition mais je lui ai dit 'La vérité, c'est que cela ne va fonctionner que si nous pouvons chanter ensemble.' Et elle a dit, 'Bien, quelle chanson ?' J'ai répondu 'Midnight Special', une vieille chanson folk. »
Gaga : « J'ai imprimé la partition et il avait les paroles sur son téléphone, je me suis assise au piano et j'ai commencéà jouer, puis Bradley a commencé à chanter et je me suis arrêtée : 'Oh, mon Dieu, Bradley, tu as une voix incroyable'. »
Cooper : « Elle m'a demandé si quelqu'un m'avait déjà entendu chanter et j'ai répondu que non. »
Gaga : « Il chante avec ses tripes, du nectar ! Je l'ai su instantanément, ce mec pouvait jouer une rock star. Et je ne pense pas que beaucoup de personnes à Hollywood le peuvent. C'est à ce moment que j'ai su que le film pouvait être très spécial »
Cooper : « Et elle a dit 'On devrait filmer ça.' Alors j'ai allumé mon téléphone et on a chanté. C'était dingue. Ça a juste fonctionné. Et cette vidéo est une des choses que j'ai montrée à Warner Bros pour avoir le feu vert pour le film. »
Assez bizarrement, le film devait originellement être réalisé par Clint Eastwood – à un moment on parlait de Beyoncé pour le rôle – et Eastwood avait offert le rôle de Jackson à Cooper. « J'avais 38 ans à l'époque, et je savais que je ne pouvais pas le faire, » dit Cooper, qui a maintenant 43 ans. « Mais après j'ai fait American Sniper avec Clint et The Elephant Man pendant un an à Broadway et j'ai pensé que maintenant j'étais assez vieux. » La célébrité pop semble frapper principalement les très jeunes ces jours-ci, mais ce film est une histoire pour les adultes. « Je disais souvent à Lady Gaga que 'C'est un film sur ce qui aurait pu se passer si tu n'avais pas réussi avant 31 ans au lieu de 21.' Nous avons beaucoup parlé de ses débuts dans le Lower East Side, et elle m'a parlé de ce bar drag où elle trainait et j'ai pensé que c'était parfait pour l'histoire. »
En effet, l'une des meilleures scènes du film se passe tout au début, lorsque Jack, ayant désespérément besoin d'un verre, tombe sur un bar gay pour une soirée drag. Ally est la seule femme que les queens autorisent à se produire sur leur scène, et alors qu'elle chante « La Vie en Rose », Jack tombe durement. Gaga explique que l'alchimie entre elle et Cooper dans le film est tellement belle car elle est réelle. Mais elle pense aussi que Cooper a « bien capté » le vaudou compliqué qui existe lorsque l'amour et la célébrité s'entremêlent. « Ce sont deux choses très complexes, à plusieurs couches, avec beaucoup de profondeur émotionnelle, et il a capturé ça. C'est ça qui selon moi fait le succès du film : c'était tellement réel. Et je l'ai vécu, alors je peux en témoigner. » (Une autre chose donne au film son authenticité : Cooper a recruté quelques drag queens qu'il connaissait à Philadelphie, ainsi que les véritables danseurs, chorégraphes, coiffeur et maquilleuse de Gaga, qui apparaissent dans quelques scènes.)
En décembre dernier, je suis allé à la maison de Cooper à Los Angeles pour regarder quelques prises de vue et – alors que nous étions assis dans la salle de projection qu'il a installé dans son garage, entourés de guitares et d'un vieux piano – son monteur assemblait des scènes. Ce qui m'a immédiatement frappé, c'est à quel point les séquences musicales sont intensément viscérales. Cooper m'a expliqué que sur l'instance de Gaga, elles avaient été tournées en direct. « Toute la musique est aussi réelle que possible, » m'a-t-il dit ce jour-là. Ils ont tourné certaines scènes de concert au festival de musique country Stagecoach à Indio, Californie, et d'autres au festival de Glastonbury en Angleterre. « A Stagecoach, quatre minutes avant que Willie Nelson ne joue, nous sommes montés sur scène, » raconte Cooper. « C'était réel. A Glastonbury, je suis monté sur scène devant 80.000 personnes. C'était dingue. Mais Lady Gaga est tellement bonne que si le monde que j'ai créé n'était pas authentique, cela se verrait en une seconde. Tout devait être élevé à son niveau. »
Une partie de l'histoire dans la saga de Gaga s'est perdue au fil du temps : alors qu'elle a commencé à jouer du piano à quatre ans et écrire des chansons à onze ans, elle voulait être actrice avant d'être chanteuse. Lorsqu'elle avait douze ans, elle s'est inscrite aux cours de La Méthode (surnom donné aux principes d'interprétation théâtrale ou cinématographique, dont est issu l'Actors Studio) au Lee Strasberg Theatre & Film Institute et plus tard à la Tisch School of the Arts à l'Université de New York. « J'adorais tellement ça, » explique-t-elle, « mais j'étais horrible pour les auditions – j'étais trop nerveuse et je n'arrivais pas à être moi-même. » Alors elle a décidé de tenter sa chance en tant que musicienne – et a eu un contrat dans l'année. Était-elle nerveuse de faire un film ? « Bien sûr, mais je savais que j'avais ça en moi, dans mon c½ur, pour donner une performance authentique. »
Le plus grand défi pour Lady Gaga était de créer un personnage musical qui ne soit pas comme... Lady Gaga. « Je voulais que les spectateurs soient immergés dans quelque chose de complètement différent, » indique-t-elle. « Et c'est presque dur d'en parler, car en quelque sorte je suis devenue Ally. » Aussi bonnes que soient les versions avec Garland et Streisand, on a parfois l'impression de voir des films sur... Garland et Streisand. Ceci dit, il n'y a peut être pas de personne plus parfaite que Gaga pour reprendre cette franchise. « Cela me rend très humble, » dit-elle. « Judy Garland est de loin mon actrice préférée de tous les temps. Je la regardais dans A Star Is Born, et c'est dévastateur. Elle était tellement vraie. Ses yeux se troublaient, et on pouvait voir la passion et l'émotion et entendre la détermination dans sa voix. » Streisand est venu une fois sur le plateau. « C'était un moment magique. C'était comme si elle me passait le flambeau. » Lorsque je mentionne la voix de Streisand, elle dit : « Son chant est au-delà de tout, mais ce qui l'est encore plus c'est son implication dans tout ce qu'elle a fait. Elle a fait partie de la création du film. Cela m'a aussi fait du bien, nous abordions la création de ce film de la bonne manière. »
La bande originale sortira le même jour que le film, et vu qu'il s'agit d'une production Lady Gaga, elle y a largement contribué. Plusieurs compositeurs et producteurs ont travaillé sur différentes chansons, mais la matière grise vient de Gaga et Cooper, qui ont travaillé étroitement avec le producteur orienté blues et compositeur Ben Rice et Lukas Nelson, le fils de Willie. « Elle est fan de mon père, mais elle a un tatouage de Davie Bowie, et Bowie était aussi mon héros, » indique Nelson. « Je tends à graviter vers les rockeurs qui étaient sympas, se battaient pour le changement et le droit d'être qui l'on veut – d'être un monstre et d'en être fier. Et je pense que beaucoup de gens se sont tournés vers Gaga dans ce royaume – elle est comme une sorte de lueur d'espoir : Je peux faire ce que je veux. Elle s'est inventée elle-même. »
C'était l'idée de Gaga d'insérer des morceaux de dialogues à travers l'album, et il y a quelques chansons qui ne sont pas dans le film – « des cadeaux, » les appelle-t-elle. Elle demande si je veux écouter un peu de musique, et nous nous dirigeons dans un petit vestibule à côté de la cuisine, un genre de bureau avec un ordinateur et deux puissantes enceintes. Elle connecte son téléphone et joue un morceau au tempo moyen appelé « Look What I Found », et alors que la chanson commence, Gaga se met à danser et chante en même temps, à tue-tête, à soixante centimètres de mon visage. Soudain je me sens un peu comme James Corden dans une nouvelle séquence : Kitchen Karaoke. Je ne peux pas résister et je me mets à danser moi-aussi. « Notre propre petite discothèque, » dit Gaga.
Elle met alors une autre chanson – une énorme ballade planante et triste appelée « Before I Cry, » avec un orchestre. C'est la première chanson pour laquelle Gaga a composé les arrangements de cordes – et dirigé l'orchestre en studio – et elle a été inspirée par une scène poignante du film où Jack a succombé à ses démons et se dispute avec Ally alors qu'elle prend un bain. Sur la bande originale, la chanson commence avec ce dialogue :
Ally : « Pourquoi tu ne bois pas un autre verre, on se bourre la gueule jusqu'à ce qu'on disparaisse complétement ? Hé ! Tu as ces pilules dans la poche ? »
Jack : « Tu es super moche, c'est tout. »
Ally : « Je suis quoi ? »
Jack : « Tu es super moche. »
Alors que la chanson passe, nous sommes face à face dans ce petit espace, et avant qu'on en arrive à la moitié, nous avons tous les deux les larmes aux yeux. Elle me prend dans ses bras et, en nous dirigeant vers la cuisine pour boire plus de vin, elle dit – presqu'à elle-même – « J'adore que nous dansions et pleurions. A l'italienne. » Je lui dis que c'est mon état naturel : danser et pleurer. « Moi aussi, » me dit-elle.
L'une des choses qu'on sous-estime chez Lady Gaga, c'est qu'elle ne nous dit pas tout. Par exemple, nous en savons très peu sur son nouveau petit-ami, Christian Carino – à part qu'il est âgé de 48 ans et travaille en tant qu'agent chez CAA – car elle ne parle pas de lui. Elle ne veut pas du tout parler des nouvelles musiques sur lesquelles elle travaille pour un futur album, ou des scénarios qui tombent désormais. Elle comprend plus que n'importe qui qu'un peu de mystère et de magie contribuent grandement dans ce monde de trop plein. Elle a en quelque sorte des limites inversées : elle ne vous dira pas, par exemple, où elle est allée en vacances, mais elle est totalement ouverte sur l'agression sexuelle dont elle a été victime lorsqu'elle était adolescente.
Sa chanson de 2015 « Till it Happens to You”, qu'elle a écrite avec Diane Warren pour le documentaire sur les agressions sexuelles The Hunting Ground, a été nommée pour un Oscar. Lorsqu'elle l'a chantée aux Oscars 2016 sur une scène emplie de 500 autres victimes d'agressions, cela présageait étrangement le mouvement #MeToo survenu un an plus tard, à la surprise de Gaga. « J'ai l'impression d'en avoir été une avocate mais aussi un membre du public choqué, » dit-elle. « Je suis toujours dans l'incrédulité. Et je n'ai jamais dévoilé qui m'a agressée, mais je pense que chacun a sa propre relation avec ce genre de traumatisme. »
Elle était encore Stefani Germanotta lorsqu'elle a été violée à l'âge de 19 ans par un producteur de musique. Elle ne l'a dit à personne. « Ça m'a pris des années, » explique-t-elle. « Personne ne le savait. C'est presque comme si j'avais essayé d'effacer ça de ma mémoire. Et lorsque c'est finalement sorti, c'était comme un gros monstre horrible. Et vous devez affronter le monstre pour guérir. » A la fin de l'année 2016, Gaga a révélé dans une interview à Today qu'elle souffre d'un trouble de stress post-traumatique à cause de l'agression. « Pour moi, au début, avec mes problèmes de santé mentale, la moitié de la bataille venait de l'impression que j'avais de mentir au monde, je ressentais tellement de souffrance mais personne ne le savait. C'est pour cela que j'ai dit que j'ai un TSPT, car je ne veux pas me cacher – pas plus que je ne le fais déjà. » Lorsque je lui demande de me décrire les symptômes, elle dit : « Je me sens assommée. Ou arrêtée. Vous voyez ce sentiment lorsque vous êtes sur des montagnes russes et que vous êtes sur le point de dévaler cette pente très abrupte ? La peur et cette chute dans votre estomac ? Mon diaphragme se fige. Puis j'ai des difficultés à respirer, et mon corps tout entier a des spasmes. Et je commence à pleurer. C'est ce que ressente chaque jour les victimes de traumatismes, et c'est... très triste. Je dis toujours que le traumatisme a un cerveau. Et il s'infiltre dans tout ce que vous faites. »
En septembre 2017, Gaga a annoncé sur Twitter qu'elle souffre d'extrêmes douleurs nerveuses causés par une fibromyalgie, un syndrome complexe et encore incompris qu'elle pense issu de son agression sexuelle, et qui s'est empiré avec le temps, exacerbé par la rigueur des tournées et le poids de sa célébrité. (Plus tôt cette année, elle a dû écourter sa tournée européenne de dix shows à cause de cela.) Dans le documentaire Netflix Gaga : Five Foot Two, qui est sorti le même mois, Gaga a autorisé les caméras à documenter sa souffrance pour faire connaître ce syndrome. « Je suis tellement énervée contre les gens qui croient que la fibromyalgie n'existe pas. Pour moi, et pour beaucoup d'autres, c'est vraiment un cyclone d'anxiété, de dépression, de TSPT, de traumatisme, et de trouble panique ; tout cela met le système nerveux en surchauffe et cela vous donne des douleurs nerveuses. Les gens ont besoin d'être plus compatissants. La douleur chronique n'est pas une blague. Et tous les jours, on se lève sans savoir comment on va se sentir. »
Aujourd'hui, Lady Gaga respire la bonne santé : yeux brillants, bronzée, en pleine forme. « Cela s'améliore chaque jour, » dit-elle, « car maintenant j'ai des docteurs fantastiques qui prennent soin de moi et me préparent pour les shows. » En parlant de shows, elle vient récemment de signer un contrat de 100 millions de dollars avec MGM Resort International pour une résidence à Las Vegas dans une salle de 5.300 places. Cela s'appellera Lady Gaga Enigma et à partir du 28 décembre, elle présentera 74 shows étalés sur deux ans – un rythme raisonnable qui lui permettra de prendre mieux soin d'elle et de faire plus de films. « J'ai toujours détesté la stigmatisation sur Las Vegas – le fait que c'est là où on va lorsqu'on est en fin de carrière, » dit-elle. « Être une fille de Las Vegas est un rêve absolu pour moi. C'est vraiment ce que j'ai toujours eu envie de faire. »
Alors qu'elle est assise devant moi sur nos canapés respectifs – dans sa mousseline de soie pervenche, dégoulinante de diamants – Gaga et Vegas font parfaitement sens. Elle a toujours été maitresse dans l'art de mélanger la nostalgie et l'étonnamment moderne pour arriver à quelque chose d'entièrement nouveau. Créer les shows pour Lady Gaga Enigma a bien sûr rassemblé la Haus of Gaga – son équipe de stylistes et d'invocateurs de monstres, incluant Nicola Formichetti. « Nous travaillons dur, pour réaliser quelque chose de vraiment nouveau, mais toujours avec l'iconographie que nous avons déjà créé – et pour faire en sorte que les fans repartent avec le sentiment qu'ils sont rentrés à la maison pour un moment avec leur communauté. »
En parlant de l'iconographie de Gaga ! J'ai manqué de remarquer que cela fait deux heures que je suis assis à côté d'un buste de mannequin, entouré d'un lourd harnais en métal ressemblant à une cage thoracique humano-reptilienne et une colonne vertébrale. Il a été fait par Shaun Leane, un créateur de bijoux qui travaillait régulièrement avec Alexander McQueen. Gaga attrape une autre pièce, un genre de chapeau orbite en métal, aussi dessiné par Leane, qui faisait partie de l'exposition « Savage Beauty » au Met, et le met sur sa tête. « Je l'ai acheté à une vente aux enchères, » m'explique-t-elle, en battant des cils. Maintenant elle veut me montrer autre chose, et va chercher une clef. Elle la trouve dans la cuisine puis sur le chemin de l'endroit vers lequel nous allons, j'ai droit à un tour rapide. Dans son salon de la taille d'une salle de bal se trouvent un piano à queue, un canapé rose géant aux formes arrondies, ainsi qu'un tapis rose encore plus grand. « J'aime le rose, » dit-elle. « C'est une couleur relaxante. » Il y a son Golden Globe (pour American Horror Story, en 2016) et une photographie encadrée de Patti Smith, ainsi que des photos de Zachary et Elijah, les enfants de Elton John et David Furnish, dont Gaga est la marraine. Sur la cheminée se trouve une lettre encadrée de David Bowie (« Chère Lady, Malheureusement je ne serai pas à NYC durant plusieurs mois mais un grand merci pour le gâteau »). Sur un mur on trouve une ½uvre de George Condo : l'énorme peinture d'une femme en robe de bal, le visage obscurci par des traces et des tâches. « Elle me fait penser à moi, » dit-elle avec un clin d'½il. « Belle mais un peu bordélique. »
Nous arrivons finalement à une porte fermée à clef. Elle tourne la clef et ouvre la porte pour dévoiler... une pièce emplie de vêtements ! Non deux pièces ! « Il y a principalement ici du Saint Laurent de Hedi Slimane, » indique-t-elle. « Je suis excitée de voir ce qu'il va faire chez Céline. Là, c'est une cape McQueen qui a été faire sur-mesure pour moi pour le clip de 'Alejandro'. Et puis ici... » – nous passons dans une nouvelle pièce un peu plus loin, et tombons sur des rangées et des rangées de cuirs, plumes et sequins et beaucoup de noir – « ... il y a tout le Gianni Versace des années 90. J'en porte un peu, mais je collectionne surtout pour préserver les pièces et les donner à un musée un jour. Parce que j'adore les créateurs. » Pause. « C'est mon chapeau Joanne ! » C'est le fedora rose qu'elle portait dans presque tous les clips et performances de son album Joanne et sur la tournée, lorsqu'elle a commencé à se présenter comme... elle-même, essentiellement.
Quand se sont évaporés les costumes fous, brillants et déroutants ? « Pour moi, la mode, l'art et la musique ont toujours été une forme d'armure. Je continue de créer de plus en plus de fantasmes dans lesquels m'échapper, de nouvelles peaux pour m'abriter. Et à chaque fois que je mue, c'est comme prendre une douche lorsqu'on est sale : on se débarrasse, on nettoie et on perd ce qui est négatif, et on devient quelque chose de nouveau. » Je me demande à voix haute où cela a commencé. « Je me souviens juste de m'être sentie tellement énervée à la pensée de devoir être conforme à la 'norme', et non à celle que je suis depuis ma naissance. Et j'ai pris le plaisir le plus radical à exprimer celle que je suis de manières grandioses. » Elle rit. « C'était un genre de 'Va te faire f****e' très poli. Je n'ai jamais cherché à être parfaite – je voulais juste être moi-même. Et je pense que c'est ce que ressente mes fans. C'était une sorte de protection, et un secret – un clin d'½il lointain. Je suis un monstre, et vous êtes aussi un monstre. »
Elle ferme la porte à clef et, alors que nous retournons dans le salon pour nous dire au revoir, elle attrape un vase empli de roses fraichement cueillies dans son jardin et me le donne : « Juste un petit quelque chose, » dit-elle. Malgré le mélodrame, la grandeur, l'obscurcissement et les blagues avec les monstres – et malgré le fait qu'elle clame avoir « du béton dans les veines » – la plupart des gens semblent comprendre que Lady Gaga est sensible et généreuse. « Je ne suis pas une marque, » dit-elle. « J'ai ma propre existence, comme tout le monde, et au final, c'est notre humanité qui nous connecte – nos corps et notre biologie. C'est ce qui nourrit la compassion et l'empathie, et ce sont les choses qui m'intéressent le plus. La bienveillance ! » Elle laisse échapper un gloussement mordant. « Ça peut vous rendre fou. Une personne très importante dans ma vie me dit souvent 'Tu ne peux pas regarder le carnage toute la journée'. Mais je pense... qu'il faut regarder le carnage dans une certaine mesure car sinon on est ignorant et complaisant – ne pas voir l'injustice et vouloir être l'avocat des autres. Mais... » Elle fait une longue pause. « ... Une fois qu'on se regarde dans les yeux, si on maintient ce contact, ce contrat, je pense que le monde sera meilleur. »
Soudain, nous remarquons le son d'une musique portée de quelque part, comme si quelqu'un avait ouvert la boite à bijoux d'une petite fille. C'est un camion à glaces Mister Softee.
« Il est en bas sur la plage, » dit-elle. « Mais vous y croyez ? Le son voyage jusqu'ici. »
Le son est un peu flippant, lui dis-je.
« Ou, » dit-elle, « c'est juste le son de gamins qui mangent de la glace sur la plage. » Nous rions tous les deux. Cela me rappelle quelque chose dont nous avons parlé plus tôt : alors que la musique de Gaga est le plus souvent amusante – avec des clins d'½il et quelques manières – elle est elle-même une personne sérieuse. Cela a été une conversation très sérieuse, lui dis-je. « Oui, c'est vrai, » répond-elle. « C'est marrant hein ? »
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